Le JOUG de BELLEVUE !

Voilà déja plus de quatre années (juillet 2011)que,lors de mon billet:"Adieu Jean",je vous avais conté nos semailles à la ferme "Bellevue" grâce à la force de la brave piguette Martine et de Blanquette nos deux meilleures vaches laitières, nos si dociles bêtes de trait. La constance de leur effort quotidien, au brabant,à la herse, au semoir ou pour le charroi des récoltes,permettait à mes parents d'honorer le paiement du fermage annuel et d'engranger lesprovisions indispensables pour la maisonnée et bien gérées par maman.
De temps en temps, l'âge avançant, je revois les scènes marquantes de mon enfance que j'agrémente en regardant les si petites photos de cette époque très parlantes et très émouvantes.

C'est l'été! c'est la guerre! Jean est parti au travail obligatoire en Allemagne, Robert est apprenti-menuisier à Sault- de- Navailles,Papa part tôt le matin rejoindre l'atelier de la maison Vigneau à Orthez; quant à ma grande soeur Lucienne,bien malade du coeur, elle est inapte aux pénibles travaux des champs. Aussi, toute la semaine je reste seul avec maman pour réaliser les seuls travaux à notre portée. Malgré nos efforts conjugués des tâches très conséquentes sont à la traîne: couper et rentrer la litière des vaches sans laquelle point de fumier,rentrer le bois de chauffage ainsi que les récoltes successives. (Blé, maïs, raves, betteraves, pommes de terre,sans oublier le foin et le bon regain fauchés par le voisin).
Malheureusement le tombereau et la grande charrette sont immobilisés au fond de la grange. Tout près, bien remisé avec grand soin par Robert, le JOUG et ses lanières en cuir m'interpelle de plus en plus chaque jour.

Je suis sûr de ma mémoire; deux tours autour de la corne extérieure, un passage sur le front, deux tours autour de la corne intérieure puis, de nouveau à l'envers, les mêmes gestes terminés par un serrage entre corne et bois du joug.
Maman a entrepris la très longue cuisson
dans l'âtre d'un pot- au-feu accompagné des légumes maison et des succulentes pommes de terre"bindje" récoltées au champ de derrière.
Vite, sans bruit, je prépare et dépose le joug par-terre, à son emplacement habituel, comme lors d'une décision d'attelage des deux vaches. Puis je déploie les lanières tout comme le faisait mon frère Jean. Viens martine, ta place est à droite, je te détache de ton râtelier, "Say, Say, avance vers le joug si lourd! "Comme tu es docile sans le moindre coup de tête récalcitrant". En un tour de main martine est fixée au joug par ses deux cornes en lyre le maintenant en l'air malgré un lourd déport certainement douloureux. Viens vite blanquette soulager martine et à ton tour fixer tes cornes à la voûte de gauche pour former à toutes deux un bel attelage. Je l'espère harmonieux et efficace pour réaliser mes projets secrets et relatifs aux travaux envisagés dans ma tête d'enfant.
J'ai réussi, aussi je peux informer maman qui, de toute façon,devra m'aider à atteler la charrette. A la vue de la scène au milieu de la grange sa surprise est tellement grande qu'elle n'entraîne que de légères remontrances pour la forme et surtout en concert avec une certaine satisfaction ainsi qu'une douce protection maternelle. Nos deux efforts permettent de cheviller le timon dans l'anneau métallique du joug. La charette peut désormais démarrer tirée par nos deux comparses aux pas rythmés par le grincement des essieux. Durant ces mois d'été et de vacances je pourrai accomplir les travaux compatibles avec mon frêle corps de pré-adolescent.

Là,chères lectrices et chers lecteurs, ce n'est pas la fin en soi d'une belle histoire, d'un beau souvenir personnel car mon véritable but est de clamer et de souligner la relation étonnante et si précieuse entre l'animal et l'enfant.

Quelle docilité, quelle parfaite harmonie dans l'effort, m'ont offerts blanquette et martine
de la ferme "Bellevue"!
Douées d'une grande mémoire et d'une indéniable sensibilité prouvées par les obsrvations et les recherches j'éprouve un grand plaisir, peut-être trés secret et personnel, en supposant un retour des caresses d'enfant, des gestes apaisants que je leur prodiguais hiver comme été tout en me refusant de les blesser avec la pointe acérée de mon "aiguillade" en bois de néflier.

Dans ce monde d'égoîsme, de mépris, de haine, de guerre entre les peuples et les hommes comme il m' est bon d'évoquer ces réels et précieux souvenirs de mon enfance à BELLEVUE.
René ROSE.(En ce bel automne 2015 de rêve et de lumière).

Say, say: viens, viens.
Aiguillade; long bâton muni d'une pointe- aiguillon pour piquer les bêtes d'attelage,vaches ou boeufs.

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merci pour ce témoignage, vous devriez en écrire encore beaucoup qui nous apporteront joie et émotion comme celui-ci.
commentaire de admiratrice le 30/10/2015 @ 13h56
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Que de forts souvenirs marquant une vie simple de gens de la terre dans une époque tourmentée. Merci pour ce témoignage.
commentaire de jean le 12/11/2015 @ 14h36
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