Pau _ Jaca en 1812
Posté par un ancien adhérent le 15/02/2015 @ 13h42
Extrait du « Journal d'Espagne 1812-1813 » du Colonel Morin
... « Je pars à Pau le 5 octobre pour aller coucher à Oloron, ville autrefois très commerçante à cause de son voisinage de l'Espagne et de la contrebande que facilitent les montagnes qui l'avoisinent. Le chemin de Pau jusque là traverse des pays fort agréables, on ne peut sortir de France par une route qui laisse de plus aimables souvenirs, le 6 je vais à Bedous. C'est un triste et malheureux village, dans un triste et malheureux pays ; j'arrivai le 7 à Urdos, dernier village français. Il est comme tous ceux des montagnes fort resserré et surtout très pauvre. A deux lieues avant d'y arriver, le chemin devient impraticable pour les voitures et même souvent très mauvais pour les chevaux et les bêtes de somme. On nous fait remarquer un rocher immense taillé à pic par la main des hommes, et l'on nous dit que c'est par les Carthaginois, commandés par Annibal lorsqu'il quitta les Espagnes pour marcher contre Rome. C'est une chose curieuse que les garnisons de ces villages frontières, autant vaudrait n'en point avoir ; car quelle résistance pourraient opposer 15 ou 20 soldats, mal armés, mal vêtus et malheureusement souvent mal commandés[24] ? Les paysans des montagnes que j'ai parcouru dans ces cantons, parlent comme ceux des Alpes un français assez pur. Je ne pense pas cependant que la même cause opère les mêmes résultats, on voit beaucoup plus de Savoyards à Paris que d'habitants des Pyrénées. Ceux-ci m'ont dit qu'ils ne quittaient guère leur retraite que pour aller dans les environs, soit en Espagne, soit en France ; ils ont aussi une réputation d'intégrité et de bonne foi comme les autres et je crois qu'ils la méritent. L'entrée en Espagne par cette route est fort dangereuse dans le rapport des chemins, car on ne parle pas encore de brigands. Nous partons le 8 à la pointe du jour avec dix soldats d'infanterie qui escortaient jusque à Jacca un convoi d'habillement pour l'armée d'Aragon, le chemin devient de plus en plus difficile, on monte toujours, les montagnes n'offrent aucuns de ces beaux sites que l'on voit dans les Alpes ; tout présente ici l'image du chaos et de la désolation ; arrivé enfin au col que l'on appelle ici Port, les chemins deviennent presque impraticables et surtout très dangereux parce qu'ils sont tellement rapides qu'on a été obligé d'y pratiquer des marches que les chevaux escaladent avec peine. On trouve au Port une auberge assez vaste où nous avons le bonheur de pouvoir manger une omelette, du pain et du vin assez bons[25]. Il faisait un temps affreux, la pluie, le vent, la grêle et la neige fondue rendait les chemins beaucoup plus dangereux encore. A quelques cent toises de l'auberge on entre sur le territoire espagnol : rien ne l'annonce qu'un mauvais bâtiment où se trouvait autrefois la douane et qui a été détruit. On redescend presque aussitôt, et la difficulté des passages fait qu'il y a plusieurs sentiers, chacun cherchant les endroits qu'il croit les moins dangereux, de sorte qu'il serait très facile de se perdre sans guides particulièrement lorsqu'il y à de la neige, attendu qu'on pourrait aller se jeter dans des vallées qui n'aboutissent qu'à des précipices où les pâtres vont mener leurs chèvres. Le chemin continue à descendre jusque à Campfranc, premier gîte en Espagne, il est impossible de dépeindre la misère des habitants de ce village. Cependant, malgré la malheureuse position dans laquelle ils sont, nous y avons eu de l'orge pour nos chevaux, on parle à Campfranc tout à fait la langue espagnole, on ne peut plus se faire entendre avec le français. Nous quittons le lendemain 9 ce malheureux village et nous marchons avec un peu plus de précautions parce que quelquefois des partis de la bande de Mina viennent de temps en temps dans les vallées de Campfranc à Jacca et qu'en outre il y à des bandes de voleurs qui arrêtent sur les chemins les voyageurs de quelque nation qu'ils soient ; nous arrivons heureusement à Jacca[26], située sur une haute plaine, le pays commence à redevenir riant et cultivé, et on retrouve le beau soleil de l'Espagne.
[23] « très jolie ville de France sur une hauteur, au pied de laquelle passe le Gave béarnois...fabrication de toiles, draps, mouchoirs & chapeaux » in dictionnaire géographique portatif de 1795.
[24] Morin fait il allusion aux chasseurs de la montagne ? Par décret du 6 août 1808, Napoléon décide de lever 34 compagnies de Miquelets dits "Chasseurs de la Montagne". Ces compagnies doivent assurer la couverture des Pyrénées tandis que l'armée Française est engagée dans la péninsule ibérique. Troupe « garde frontière », ils sont recrutés parmi les populations locales avec promesse de ne pas partir. Ils mènent des actions de contre guérillas efficaces. Ils sont dissout en 1814.
[25] Le vin espagnol est alors très réputé en Europe entière et est souvent heureusement découvert et bu par les soldats français arrivant en Espagne
1645-1792
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